Opération "Mindfuck"
Ronald Hadley Stark, la CIA, le LSD et la révolution
« … Les révolutions ne sont pas gagnées en faisant appel aux masses. La Révolution est une science pour les quelques personnes qui sont assez compétentes pour la pratiquer. Elle dépend d’une organisation correcte et surtout, des communications. »
—Robert Heinlein
La malédiction qui pèse sur mes recherches ici, au pays des bargeots - c’est qu’il est presque impossible de faire des recherches sur les gens qui sont vraiment fascinants. Par exemple, lorsque vous êtes en train de plancher sur les secrets de fabrication de la plus grande opération de contrebande de LSD du monde impliquant la CIA, vous n’allez pas trouver vos informations dans des interviews de « Newsweek » ou dans une autobiographie publiée. C’est précisément le problème avec Ronald Hadley Stark, qui est l’un des personnages les plus fous dans l’histoire du LSD - et c’est vraiment peu de le dire, ne croyez-vous pas ?
Cet article a été mis à jour considérablement depuis que je l’ai publié. L’histoire de la vie de Stark est incroyable, alors je pense qu’il est important d’être méticuleux. Il y a, sans doute, encore des centaines d’erreurs ici.
Pour ceux qui ne connaissent pas l’enchevêtrement des forces politiques, scientifiques, culturelles et secrètes derrière la propagation du LSD, cet article pourrait porter à confusion. Ronald Stark est une figure centrale dans le livre de David Black « ACID : Une histoire secrète du LSD », mais la meilleure introduction générale à ce propos serait « Acid Dreams », par Lee & Shlain. Il est court et très lisible, portant sur l’histoire globale, en termes clairs. Pour les chercheurs plus sérieux, je recommande fortement le chef-d’oeuvre de HP Albarelli, « A Terrible Mistake » (“Une Terrible Erreur”), qui est minutieusement documenté et couvre un champs considérablement plus large que la simple histoire du LSD.
Le Super-Contexte
Stark a travaillé avec les agences de renseignement des États-Unis pendant au moins 9 ans ; au moment de son infâme apogée, il travaillait en étroite collaboration avec le légendaire syndicat de la drogue : la « mafia hippie » dénommée « La Confrérie de l’amour éternel » (Sans blague). Ils étaient à la recherche d’un nouveau fournisseur et Stark débuta la réunion en leur montrant un kilogramme de LSD liquide. Inutile de dire que son curriculum vitae était convaincant. Il a prétendu avoir un laboratoire spécialisé en France, mais c’est sa philosophie politique qui fait vraiment de Stark un personnage intéressant :
« Il avait une mission, a t-il expliqué, qui consistait à favoriser l’usage du LSD afin de faciliter le renversement du système politique de l’Est communiste comme de l’Ouest capitaliste en induisant des états modifiés de conscience dans des millions de personnes. Stark n’a pas caché le fait qu’il était bien relié au monde de la politique secrète. »
La Fraternité a été suffisamment impressionné pour accepter Ronald Stark dans la bergerie, et ce qui a suivi a été l’âge d’or du LSD bon marché, un LSD de haute qualité. De 1969 à 1973, Stark et la Fraternité ont arrosé une génération entière et se sont enfui avec elle dans les brumes psychédéliques du flower power.
Selon un chiffre cité par tout le monde et vérifié par personne, Stark aurait synthétisé 20 kg de LSD dans sa carrière. Le folklore Hippie remet généralement la palme à Owsley Stanley, le roi de l’acide, mais selon les propres estimations de Stanley, sa production totale aurait été d’un demi-kilo. Cela pourrait ne pas sembler beaucoup - mais cela représente plus de 5 millions de buvards d’acide. Vous pouvez voir pourquoi l’Armée et la Marine ont été tellement intéressé par ce composé : il est exceptionnellement puissant.
Bien que l’histoire du LSD soit étroitement associée à la société pharmaceutique Suisse Sandoz, la plus grande part de l’approvisionnement de la CIA fut effectivement domestique. Depuis au moins 1954, la Société Eli Lilly, travaillant sous contrat secret, approvisionna en « jus mindfuck » les stocks des différents projets de recherche MKNAOMI et ARTICHOKE. Les chiffres sur leur production totale de LSD sont classifiés.
David Black :
« Avant de décrocher le contrat avec la Fraternité de l’amour éternel, Stark avait fait quelques contacts en Angleterre au sein du mouvement radical de la psychiatrie RD Laing et l’Institut Tavistock. »
Évidemment, cela fut une entreprise qui généra beaucoup d’argent, et l’implication du crime organisé était inévitable. Dès lors que les petits lots de LSD ont commencé d’avoir une marge commerciale bénéficiaire littéralement exponentielle, l’expertise technique a été fortement récompensée. Prenons le cas de Clyde Apperson, spécialiste de la mise en place rapide d’un laboratoire de fabrication entièrement fonctionnel à peu près n’importe où. Plus important encore, il pouvait les faire disparaître encore plus vite. Pour l’installation, Apperson demandait 100.000 dollars en espèces - et les déménageait pour seulement $ 50 000. Il a finalement été arrêté travaillant dans un silo de missiles abandonné avec William Leonard Pickard en 2000.
Tout le monde finit toujours par se faire serrer. L’histoire du LSD est pleine d’hommes très intelligents qui ont pris des décisions vraiment stupides. Pourtant, à travers tout cela, de l’opération « Julie » au cas « Sand-Scully », Ronald Stark ne cessait de se volatiliser. Il était un artiste de la défonce calculée : toujours sur la scène, jamais là pour payer les pots cassés…
Jusqu’à ce que soudainement :
« Quel que soit le jeu auquel Stark jouait, sa carrière a pris un virage brusque en Février 1975, quand la police italienne a reçu un appel anonyme dénonçant un homme qui revendait de la drogue dans un hôtel à Bologne. Quelques jours plus tard, au Grand Hôtel Baglioni, ils ont arrêté un suspect en possession de 4,6 kilos de marijuana, de morphine et de cocaïne. Le suspect possédait un passeport britannique portant le nom de Terrence W. Abbott. Les enquêteurs italiens ont vite découvert que “M. Abbott ” était en fait Ronald Stark. »
- Source : Acid Dreams, pg. 213
Terrence W. Abbott a été titulaire d’un authentique passeport Colombien, numéro 348489A, qui a été décerné en 1973. L’histoire du pourquoi du comment ne sera jamais divulguée - les renseignements britanniques ont refusé de libérer ses dossiers. Le FBI a refusé de partager les fichiers qu’ils possèdent sur lui pendant l’enquête de la DEA, et le Département d’Etat américain a activement fait obstruction lors des nombreuses tentatives étrangères d’extrader ou de poursuivre Stark. L’homme menait une vie de rêve.
« … Le panorama des activités de Stark a commencé à s’élargir avec la découverte d’un flacon de liquide et de documents conservés dans une boîte de dépôt bancaire à Rome. Le flacon a été envoyé pour examen médico-légal. Les scientifiques ont rendu compte qu’ils ne pouvaient pas précisément identifier la drogue qu’il contenait. Au mieux, ils ont déclaré qu’il s’agissait probablement de LSD. Peut-être que c’était le THC synthétique que Stark avait rêvé de créer ; les documents incluaient des formules pour la synthèse. Il y avait aussi des plans pour l’achat en vrac de graines de chanvre et les calculs pour l’installation des labos, les investissements et les plantes. Certains de ces documents ont refait surface à l’époque de la Confrérie de l’Amour éternel, mais ils n’ont donné aucun détail de ses opérations LSD après l’épisode belge. Ils ont montré que sa gamme d’intérêts dans le monde de la drogue a été élargi pour inclure une multitude de stupéfiants. Il ont révélé les détails de la synthèse de la cocaïne. »
- Source : La confrérie de l’amour éternel
Le temps que Stark passa en Italie est le plus sanglant et le plus étrange chapitre de son histoire bizarre. Bien que la plupart des comptes-rendus rapportent son arrestation en1975 comme une “descente de flics”, un commentateur qu’il ne convient pas de mentionner ici : Phillip Willan, apporte un autre son de cloche : selon lui, Stark est peut-être au cœur du folklore du LSD, mais à travers le prisme du journalisme d’investigation sérieux et de la recherche sur l’histoire du terrorisme politique en Italie ; le Ronald Willan Stark qu’il nous présente n’est pas un baron de la drogue qui se serait fait prendre aussi bêtement, d’autant qu’à son actif, il semblait disposer de sources qui le renseignaient délibérément lorsqu’il était temps pour lui de déguerpir.
Willan :
« L’arrestation de Stark en Italie fut initié par un mystérieux coup de fil à la police et il semblait très heureux d’aller en prison, où il passa son temps à gagner la confiance des dirigeants incarcérés des Brigades rouges, étant donné qu’il a refusé la possibilité d’une libération sous caution en août 1978. »
Stark n’était pas un simple mouchard. Il participa activement à la mise en place des infrastructures, à l’enseignement des principes de la sécurité opérationnelle et à prêcher les vertus de la structure en “cellules” d’une organisation secrète. « Il leur a également fourni un système de cryptographie pour les communications radio codées », mais il faut supposer que Stark passait aussi ce système à ses employeurs secrets. Les archives de la prison montrent qu’il participa à des rencontres avec la police italienne et des agents du renseignement plusieurs fois alors qu’il constituait son réseau. C’est en Italie qu’une grande partie de l’opération « Ronald Stark » s’est effondrée dans le monde visible. Les faits qui en ont émergé sont une instruction dans la guerre secrète et le renseignement. Certains gars pèsent lourds, si vous voyez où je veux en venir…
Des gars qui pèsent
« … Son petit jeu préféré consistait à garder sa gamme de contacts ignorants les uns des autres et des ses activités annexes. Souvent, il dissimula le fait qu’il était un Américain. Ses associés européens n’étaient pas au jus de ses affaires en Afrique, en Asie et ils ne savaient que peu de choses sur son travail aux USA. Les frères de l’amour éternel, par exemple, n’avaient aucune idée qu’il avait dirigé un réseau de cocaïne distinct dans la Bay Area en Floride. »
- Acid Dreams, p. 250
En menant mes recherches sur Roland Stark, je me suis rappelé de gens comme Porter Goss, Henry Karl “Andrija” Puharich ou Barry Seal : il est presque irréel de voir combien ce gars-là fait l’affaire. Il est resté en contact étroit avec les fondateurs de “L’Église du processus du jugement final” qui est une autre plaque tournante dans le réseau obscur de l’histoire occulte.
Ils ont débuté comme un groupe dissident qui a rompu les rangs de la scientologie, ce qui signifie qu’ils faisaient la guerre spirituelle avec L. Ron Hubbard de 1965 à 1974, qui fut une année assez mauvaise pour “Le Maître”, Robert DeGrimston. Il démarra son propre culte et sa femme divorça et créa une chaîne de refuges des “meilleurs amis” des animaux. (Sans blague)
Tout cela sonne de manière plus lugubre que ça ne l’était en réalité. Stark a finalement été un trafiquant de drogue, son lien avec l’Eglise n’implique pas une philosophie partagée … mais ne l’exclut pas non plus. Le sociologue William Sims Bainbridge a étudié le groupe pendant des mois, et il n’a pas exactement déclenché l’alerte : « il n’y avait pas de violence et pas de sexe sans discernement, mais j’ai trouvé une alternative esthétique remarquable et intelligente à la religion traditionnelle. » Là encore, le Temple solaire était plein de gens riches et sophistiqués qui organisaient des parties raffinées avec des conversations de très haut niveau jusqu’à l’assassinat de masse, ou peut-être le suicide collectif.
(Pour beaucoup plus de détails, reportez-vous à l’essai de Bainbridge « Construction sociale vue de l’intérieur : le Processus de Satan ».)
Timothy Leary était un avatar parfait pour l’Âge d’Horus : ludique, doté d’un brio créatif et ignorant complètement les conséquences néfastes qu’il a pu libérer. Bien qu’il y ait peu de preuves pour lier Leary lui-même aux activités de contrebande de drogue et le merchandising de la Fraternité, il est rapidement devenu le centre spirituel du groupe. Pour ce que ça vaut, Leary lui-même minimisa leur importance.
LEARY :
« Le concept de la Confrérie de l’éternel amour est comme un croque-mitaine inventé par le CNRA… La confrérie était constituée d’environ huit garçons qui pratiquaient le surf et venaient de Californie du Sud, Laguna Beach. Ils ont pris du LSD et ils ont pratiqué la religion de l’adoration de la nature et ils allaient dans les montagnes. Mais ils n’étaient pas des bonzes. Aucun d’eux n’a jamais conduit rien de mieux qu’un bus VW. Ils étaient tout simplement ensemble pour le plaisir spirituel. »
Peut-être - mais probablement pas. En Septembre 1970, Leary s’évada de prison dans une affaire compliquée qui exposa le radicalisme du réseau que la Fraternité était devenu. L’argent de Ronald Stark fut versé au « Weather Underground », qui est le point précis où la “mafia hippie” était devenue connectée aux terroristes hippies réels. Leary était en Algérie au moment où Eldridge Cleaver, lui-même en exil, fut liquidé. Un an plus tard, Leary et sa femme étaient en Suisse, vivant sous la protection du marchand d’armes Michel Hauchard. Pour une histoire spirituelle pleine de sensations fortes, il y a certainement beaucoup trop d’armes en cause ici.
À un moment donné, peut-être que la Fraternité était vraiment juste un groupe de hippies avec un jardin plein de “mauvaises herbes”. Pendant un certain temps, le « Weather Underground » n’était qu’un groupe de militants étudiants trop inoffensifs. Une fois que Stark est entré en scène, il a rapidement provoqué des changements dans toute l’opération, établissant des livraisons sûres et gérant tous les aspects de leurs finances. « Stark les a averti que procéder à des achats immobiliers ouvertement, comme ils l’avaient fait, était beaucoup trop risqué - mais ses avocats pourraient remédier à la situation en maquillant la propriété dans un labyrinthe de sociétés écrans. »
Il s’agit d’un motif récurrent dans les opérations de Stark : il est toujours prêt à créer une organisation qui n’existe pas. Après qu’Owsley et la Fraternité internationale furent mis sous les verrous, la plupart des chimistes de la région de la baie savaient désormais ce que Stark était vraiment. « Nous étions vraiment très crédules à croire toutes les choses qu’il nous avait dites », comme ce pauvre Tim Scully le concéda plus tard.
La Confrérie s’est branchée sur le Global Underground de Stark très rapidement : les importations massives de marijuana du Moyen-Orient, les comptes bancaires numérotés dans les îles Caïmans, il était en quelque sorte tout ce que la micro-gestion peut offrir de meilleur. Une fois qu’il eût inondé la côte Ouest avec de l’herbe en provenance d’Afghanistan, Stark tourna son attention vers New York, qui n’était absolument pas préparée à la quantité que la Confrérie avait à écouler. De la distribution à l’organisation des revendeurs de rue, Stark était là : l’établissement d’un “Ordo ab Chao”, c’était sa manière de procéder.
Les lecteurs de Skilluminati sont peut-être déjà familier avec M. Nice, le commerçant et entrepreneur gallois de haschich qui a ouvert le pipeline aux plus fameuses exportations d’Afghanistan jusque dans le salon des hippies et autres connaisseurs du monde entier. Son vrai nom est Howard Marks et son travail de pionnier dans l’échange culturel est le fondement de tout, de la Cannabis Cup à la guerre civile en cours en Afghanistan, même si bien sûr, tout n’est pas de sa faute. Contrairement à Stark, il a fait un récit constitué d’histoires colorées et des moments médiocres des années pendant lesquelles il pratiqua le trafic de drogues. Une partie du témoignage de M. Nice, bien sûr, c’est qu’il jure qu’il n’a jamais utilisé la violence ou fait le trafic de drogues “dures” - ce qui a probablement été un facteur encore plus important dans sa retraite anticipée, plutôt que le fait d’avoir été mis derrière les barreaux par la DEA. L’Afghanistan, bien sûr, a pesé très lourd dans la balance et très rapidement, M. Nice a été écrasé par son passif à court terme.
Howard Marks fut vraiment un hippie. Ronald Stark a été tout autre chose.
Giorgio Floridia
La plupart de ce qu’on sait au sujet de Ronald Stark aujourd’hui, on le sait par un magistrat italien nommé Giorgio Floridia, qui a sorti Stark de sa geôle italienne en 1979. Après que Stark fut pris en 1975, il s’ingénia à essayer de convaincre tout un chacun qu’il opérait avec la bénédiction du gouvernement des États-Unis. Quatre ans plus tard, il a finalement réussi à convaincre Floridia, qui a cité « une série impressionnante de preuves énumérées scrupuleusement » que Stark lui avait donné.
Lors de son procès d’appel, Stark avait changé d’identité une fois de plus, se faisant passer cette fois pour « Ali Khouri, un radical palestinien. ». En parlant couramment l’arabe, il a énoncé les détails de sa biographie, expliquant qu’il faisait partie d’une organisation terroriste internationale dont le siège est au Liban, appelé « Groupe 14 ». L’appel de Stark a échoué, et il a été renvoyé en prison.
Mais la police italienne a eu un regain d’intérêt pour son cas, après avoir capturé Enrique Paghera, un autre chef terroriste qui connaissait Stark. Au moment de son arrestation Paghera possédait une carte dessinée de la main de Stark d’un camp de l’OLP au Liban. La carte, avoua Paghera, était venu de Stark, qui lui avait également fourni une lettre codée d’introduction. L’objectif, selon Paghera, était de tisser un lien avec une organisation terroriste qui projetait d’attaquer des ambassades.
Floridia déclare que Stark affirma également avoir travaillé pour le ministère de la Défense à partir de 1960, et avoir reçu des chèques de paie à partir de Fort Lee, dans le New Jersey. Il est intéressant de considérer que Stark pourrait avoir exagéré son rôle et ses connexions, et même fabriqué des preuves, en présentant son cas devant le magistrat qui était en mesure de le libérer. De toute façon, cela fonctionna. Stark fut mis en liberté conditionnelle et disparu quelques jours plus tard.
Quant aux motivations de Floridia dans le cadre de la relaxe de Stark, ça vaut la peine d’examiner le sort du gars qui l’a précédé :
En Juin 1978, un magistrat de Bologne, Graziano Gori, a été désigné pour enquêter sur Stark et son étonnant réseau d’entreprises associées. Quelques semaines plus tard, Gori a été tué dans un accident de voiture.
C’est, bien sûr, peut-être la “preuve la plus impressionnante” de toutes. Mais d’une certaine manière, ce n’est pas encore fini…
Dialectique hégélienne, LSD et ingénierie sociale
Ronald Stark a musardé en Hollande en 1982. Il n’y a pas beaucoup de détails publiés, mais il s’agit clairement de 16 kilos de hash et d’une identité (libanaise) bidon. Il fut coffré en route vers New York City. Il fut incarcéré et, apparemment, est mort en détention - parce que, quand l’Italie a demandé qu’il soit extradé sur des accusations de terrorisme, les États-Unis ont répondu avec une copie du certificat de décès de Stark.
(Vous l’avez deviné - “crise cardiaque”.)
Sa trace papier se termine ici, mais le lecteur sera étonné d’apprendre que sa croisade clandestine ne finit pas là. Il n’y avait certainement pas de retraite pour un homme comme Stark. Sa mission était trop importante, trop énorme pour une simple carrière.
… Mais là encore, quelle était sa mission, après tout ? Est-ce une erreur de délimiter son action à ce qu’il raconta à la Fraternité de l’amour éternel ? Peut-être pas. Bien que Ronald Hadley Stark ait raconté beaucoup de choses à beaucoup de gens, la seule constante qui se dégage c’est la Révolution. Du Weather Underground aux Brigades rouges, de l’OLP à l’IRS, Stark a été constamment en mouvement dans les milieux où le renversement du gouvernement et la libération du peuple ont été les thèmes centraux … cercles qui aujourd’hui seraient considérées comme des cercles “terroristes”. Certes, Stark a manipulé et menti à ses contacts à chaque étape du chemin, et il est sûr que le discours qu’il a donné aux Palestiniens et aux Italiens ont été très différents de l’image qu’il a peinte en 1969 à la Fraternité.
Il est intéressant de revoir son credo : « … afin de faciliter le renversement du système politique de l’Est communiste comme de l’Ouest capitaliste en induisant des états modifiés de conscience chez des millions de personnes. » Maintenant, vu les réseaux choisis par Hadley, il est assez clair qu’il considérait les fusils automatiques et les bombes incendiaires comme des outils tout aussi valables pour « inciter des états modifiés de conscience », et il est peu probable qu’un réaliste comme Stark croyait sincèrement que le LSD allait être beaucoup plus qu’une affaire rentable. A côté de cela, renverser le capitalisme et le communisme sonne comme une déclaration authentique des objectifs généraux de Stark, ou du moins ce qui correspond le mieux à son modus operandi, sommaire et rapide.
Stark était un infiltré, le créateur des canaux de communication entre les agences de renseignement et de police et les mouvements clandestins qui tentaient de les combattre. Le fait qu’il connut un tel succès et fut si prolifique est ce qui fait de lui un spécimen remarquable. Tout au long de sa vie documentée, Stark travailla avec acharnement et contre des dizaines de joueurs en compétition. Il se déplaça constamment, jongla avec des identités multiples et resta activement impliqué dans une multitude de conflits simultanément.
En observant son étrange carrière enchevêtrée, il est difficile d’éviter de penser que le LSD n’était vraiment pas la question. Le plus grand producteur de LSD que le monde ait jamais connu n’était pas un vrai croyant, il était juste de passage sur le chemin de choses plus grandes et de meilleure qualité. Son travail pour les agences de renseignement des États-Unis avait plus à voir avec cet état d’esprit ainsi que l’établissement de connexions. De grandes quantités d’acide ont peut-être été une carte de visite pour s’imposer comme une figure légitime en matière criminelle.
Ce qui nous amène, enfin, à un cercle complet.
Une Maîtresse Sévère
En 1966, Putnam & Sons a publié un nouveau roman de Robert Heinlein intitulé « La Lune est une maîtresse sévère» (publié en France sous le titre « Révolte sur la Lune »). L’intrigue concerne la révolution des travailleurs sur une colonie lunaire, organisé par un petit groupe de personnes avec une aide considérable à partir d’un supercalculateur conscient qui gère et contrôle les infrastructures de la colonie. Ecrit dans un langage distinctement abrégé, le « Moonspeak », le livre explique en détails remarquables les réseaux sécurisés et les communications secrètes. Stark avait toujours une copie de cet ouvrage sur lui et en a fait l’éloge à travers le monde. Peut-être qu’il est possible en dernier lieu d’arriver à démêler ses motivations et ses croyances grâce à cet ouvrage de science-fiction, plutôt qu’à la vie qu’il a laissé derrière lui.
Il est impossible d’écrire sur le caractère de Ronald Stark sans discuter du personnage du professeur Bernardo de la Paz. En tant que cerveau derrière la révolution lunaire, le professeur tient plusieurs monologues détaillés sur les principes de conception sous-jacents aux opérations secrètes. « La Révolution », dit le Prof, « est un art que je pratique, plutôt qu’un objectif que je m’attend à atteindre. »
La fin du roman est du plus pur effet. La révolution échoue comme les révolutions le font toujours, et Heinlein écrit une chanson d’amour sur la frontière elle-même. La révolution est la flamme qui s’éteint, pour des raisons simples et pratiques : « Chaque nouveau membre fait qu’il est beaucoup plus probable que vous finirez par être trahi », comme le Prof l’admet.
« L’organisation ne doit pas être plus grande que nécessaire - ne recrutez personne simplement parce qu’il veut vous rejoindre. Quant à la structure de base, une révolution commence comme une conspiration ; donc la structure est petite, secrète et organisée de manière à minimiser les dommages causés par la trahison - car il y a toujours des trahisons. Une solution concrète, c’est le système cellulaire et jusqu’ici rien de mieux n’a été inventé. »
Le professeur propose ensuite un mandala de cellules composées de trois membres chacune, tous les rapports passant par un seul nœud (chef) vers le centre. Cette approche cloisonnée des fondateurs permet à la fois de monopoliser le flux d’informations et de se protéger contre l’exposition. Le concept est simple et efficace, et il a été prouvé ici dans le monde réel depuis des décennies, des réseaux terroristes aux agences de renseignement en passant par les chrétiens évangéliques. Il est stupéfiant de penser à combien de gens Ronald Stark a été connecté, en supposant qu’il a rigoureusement poursuivi le modèle du professeur, ne pratiquant l’Art que pour l’Art. Il est triste de constater que le sentier de l’histoire secrète dont j’ai parlé ici est juste un couple de cellules qui ont éclaté au grand jour, une partie d’un ensemble, qui est devenu complètement invisible, ici en 2010.
Ses plus grandes réalisations ont été les conspirations couronnées de succès, les opérations achevées dont on ne sera jamais en mesure de remonter la piste jusqu’à leur planification attentive et constante, fruit d’un travail acharné. Il y a trop de lacunes énormes et de questions en suspens pour laisser beaucoup de doutes quant au fait que Ronald Hadley Stark avait un taux de réussite très impressionnant. Il était dans une ligne de travail où l’invisibilité est l’objectif, et son véritable héritage se cache derrière les manchettes des journaux que nous lisons mais ne comprendrons jamais, ici dans le troupeau civil.
pg 77: « Correctement organisée et au moment opportun, c’est un coup d’État sans effusion de sang. Fait maladroitement ou prématurément et le résultat c’est la guerre civile, les émeutes, les purges, la terreur. J’espère que vous me pardonnerez si je dis que, jusqu’à présent, cela a été fait maladroitement. »
Lectures complémentaires
Désolé, pas de recettes LSD ici. Test de sécurité pratique : si vous avez besoin de google pour obtenir une recette, vous n’êtes pas qualifié pour cuisiner ce genre de choses. Ne pas jouer avec le feu, les enfants !
Soyez sûr de lire la critique du « Cult of the Dead Cow » : « Acid : A New Secret History of LSD » - très complet pour de plus amples renseignements sur Stark. (Traduit ici-même)
Le toujours excellent Gary Lachman-offre une revue sobre et détaillée sur l’Église du processus du jugement final. (Traduction ici-même)
Si vous voulez en savoir plus sur la Confrérie de l’amour éternel, c’est une bonne chose : vous devriez. Il y a un livre remarquable sur le sujet, intitulé de manière prévisible « La Confrérie de l’amour éternel ». J’ai lu récemment un nouveau livre sur le sujet, « Orange Sunshine », qui n’était pas aussi bon.
Enfin, pour le background sur Ronald Stark Hadley et sa mystérieuse fin de vie, le livre de Philip Willan est essentiel:
« Marionnettiste : L’utilisation politique du terrorisme en Italie ».
Source : www.brainsturbator.com